L’Avènement de la République

septembre 17, 2008

Les théologies de l’aliénation

Filed under: Régime communautaire — Michel Ahnee @ 6:31
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Publié dans l''Express du Samedi 17 mai 2008 http://www.lexpress.mu/archive_semaine/display_article.php?news_id=108132

Pour la réponse du Diocèse de Port-Louis à cet article :- http://www.dioceseportlouis.org/index.php?option=com_content&task=view&id=842&Itemid=387

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«Disons-nous et disons à nos enfants que tant qu’il restera un esclave sur la surface de la Terre, l’asservissement de cet homme est une injure permanente faite à la race humaine tout entière.»

Victor Schoelcher

La République guidée par la Liberté et encadrée par la Justice et le Travail

La République guidée par la Liberté et encadrée par la Justice et le Travail


Les observateurs les plus avertis semblent ces jours-ci traiter Jocelyn Grégoire et sa Fédération des créoles mauriciens (FCM) avec une complaisance surprenante…

Sympathie et égarement

Cet égarement tient sans doute à la sympathie que l’on peut ressentir pour cette partie de la population qui, confrontée aux séquelles culturelles et économiques de l’esclavage, s’est enfoncée, de génération en génération, dans les strates les plus misérables du peuple mauricien. Sans que l’État et sa politique sociale ne s’en soient véritablement souciés. Cette même frange africaine de la population est également victime de l’idéologie d’accaparement communautariste de la fonction publique fortement ancrée dans la mentalité sectaire d’une partie de la population d’origine indienne. Un système de recrutement qui est sans nul doute la plus sophistiquée des perversions communautaristes et castéistes de la vie politicienne de l’île Maurice.

Pendant que les organisations communautaristes hindoues, musulmanes et autres utilisaient, sans complexe aucun, les leviers étatique et électoraliste du système communautariste, «les créoles» n’avaient plus, depuis des années, d’interlocuteur communautaire pour parler au gouvernement. Jocelyn Grégoire a pris cette place d’interlocuteur «des créoles» auprès du pouvoir politique en faisant accroire que c’est en participant au système communautariste que «les autres» ont réussi et que la «communauté créole» n’avait qu’à faire pareil pour s’en sortir… Voilà la belle théologie «libératrice» de Jocelyn Grégoire.

Faut-il se laisser aller à penser que, finalement, «les créoles» sont justifiés à se vautrer dans le sectarisme du plus bas étage puisque «les autres» le font bien ? Que cela est un juste retour des choses ? Que tous les joueurs du Régime des Communautés sont maintenant représentés autour de la table ronde des distributions proportionnelles ? Mais a-t-on oublié à quel jeu notre société est conviée ? Il faut rappeler ce qu’est le Régime des Communautés.

Le Régime des communautés

En dessous du Régime Constitutionnel formel fonctionne un aménagement politique et gouvernemental empirique, inventé pour faire place à ces entités infra-politiques que sont les «communautés». Le Régime des Communautés : –

● C’est d’abord une profonde méfiance provenant de la différence ethno-religieuse. Cette différence, loin d’être surmontée dans le champ public, obnubile les individus et les amène à se percevoir dans le fonctionnement politique en groupes monolithiques au mieux juxtaposés ou, au pire, opposés. La nation n’y est pas composée d’individus réels, personnes physiques, égaux en droits, libres et doués d’autonomie de jugement (les citoyens) mais de communautés, d’entités fantasmées, personnes morales, ayant des droits inégaux et dont les membres se soumettent au leader qui mènera son ethnie vers des lendemains qui chantent (Et si le leader n’est pas encore advenu, on prie à genoux pour qu’il vienne… n’est-ce pas Monsieur Grégoire).

● C’est une société travaillée par d’impérieux «intérêts communautaires» foncièrement compétitifs. À la revendication d’une communauté s’oppose toujours la crispation de l’autre sur «ses acquis». Cette compétition est censée être régulée par une primitive équité communautariste fondée sur une sacro-sainte proportionnalité à être respectée entre, d’une part, ce qui est «dû» à une ethnie et, d’autre part, le poids démographique de celle-ci et/ou sa «contribution historique» au pays (Jocelyn Grégoire a ainsi demandé 35 % des postes de la fonction publique pour la «communauté créole»).

● C’est un peuple divisé, fasciné par l’influence occulte que doit avoir son groupe sur le gouvernement, lequel est perçu comme un distributeur de faveurs ethniques. L’influence dépend du nombre de «représentants» que l’ethnie concernée arrive à placer au sein du gouvernement et dans la haute fonction publique. Car il est entendu et accepté que le groupe ethnique sera favorisé par ses «représentants» parvenus à des postes publics. Il y a quelques années Philippe Fanchette ne disait-il pas que les ministres créoles devaient être les porte-parole des créoles.

● C’est un Etat qui, à force d’aller se prosterner aux «fonctions» des organisations socioculturelles, fait clairement comprendre qu’il tire sa légitimité, non plus du suffrage universel, mais de sa capacité à coaliser les différentes ethnies par la médiation intercommunautaire. La République œcuménique des Tribus… Cela donne un édifice politique à la légitimité dangereusement instable puisque chaque groupe ethno-religieux peut, dès qu’il se sent suffisamment «lésé», brandir la menace de la sédition pour remettre en cause la légitimité de l’État et celle de toute l’organisation politique nationale. (Ainsi Jocelyn Grégoire en appelle-t-il séditieusement au «peuple créole» et la tenue de son rassemblement le 1er mai n’est rien d’autre que la menace que les créoles se retirent du jeu politique national pour un repli exclusif sur les intérêts communautaristes).

● C’est une société où la recherche de solutions aux vrais problèmes est rendue impossible car la rationalité y est abolie. L’obsession de l’équilibrage ethnique et l’obnubilation identitaire constituent un puissant prisme déformant qui produit sans cesse de faux problèmes autour desquels l’on tourne inlassablement (Des mois après la création de la FCM en septembre 2007 la seule proposition phare faite pour la «communauté créole», à part les 35 % de places dans la fonction publique, est le remplacement du terme «population générale» par «créoles et autres chrétiens» dans la constitution : – voilà les créoles – et le pays – bien avancés…)

Théologie de libération ou d’aliénation ?

Est-ce ce type de régime qui libère l’homme, assure son épanouissement ? Est-ce cela la «théologie de la libération» ? Ce marécage intellectuel populiste, cette idéologie viciée, dans laquelle l’homme n’a de valeur et de droits que par le poids démographique de son ethnie ou la « contribution des ancêtres à la richesse nationale » ? Cette société tribalisée dans laquelle les prestations sociales sont arrachées au terme de chamailleries égoïstes entre groupes hérissés de l’avilissant sentiment du chacun pour sa race. Une nation composée d’aliénantes ethnies souveraines qui forment un «arc en ciel avec des couleurs bien distinctes afin qu’il soit plus beau». Phraséologie d’école maternelle pour une République de l’Apartheid. Théologies de l’immoralité pour lesquelles l’intérêt général, l’intégrité et l’impartialité sont des contre-valeurs. Car, à leurs yeux, tout emploi public n’a de valeur que par la représentation raciale ou religieuse qu’il offre : – que l’on soit chef juge, commissaire de police ou ministre…

C’est malheureusement à ce dégradant projet pour l’homme que se rallie l’Eglise catholique. Existe-t-il dans le monde un autre Etat indépendant dans lequel l’Eglise Catholique Romaine se proclame représentante ethnique face au gouvernement de cet Etat ? Et qu’on ne nous parle pas «d’option préférentielle pour les pauvres». Ce n’est pas la «Fédération des Pauvres Mauriciens» qui a été créée mais bien la «Fédération des Créoles Mauriciens». Or, le Vatican ça a des Universités, c’est un Etat, ça sait ce qu’est une République. Demander la répartition des emplois publics en exacte proportion de la répartition ethno-religieuse d’un peuple est de la part de l’Eglise catholique romaine, nous pesons nos mots, un crime prémédité contre la République de l’île Maurice.

Notre Constitution, dont les valeurs sont issues du siècle des lumières, consacre la dignité individuelle et les droits individuels de l’homme. Le haut principe d’égalité entre les hommes féconde les sentiments de fraternité et de solidarité dans la société. La justice sociale en République Citoyenne est fondée sur ce sens de la solidarité entre êtres humains. Sur cette base le gouvernement de la Nation se charge par sa politique sociale d’assister les plus vulnérables, d’assurer aux membres de la communauté nationale des chances égales indépendamment de la race ou de la religion. Tous les citoyens, étant égaux aux yeux de la République, «sont également admissibles à tout emploi, place et dignité publics, selon leurs capacités et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents». La dignité et les droits tiennent à la seule qualité d’humain et non au statut de membre d’une communauté raciale ou religieuse. Cela n’est pas de la théorie «légaliste», ces valeurs sont la colonne vertébrale des démocraties civilisées et ce sont à ces valeurs qu’hier nos ancêtres africains devaient leur libération de l’esclavage. C’est sur le socle de ces valeurs que les démunis et les marginalisés d’aujourd’hui pourront le plus efficacement et le plus légitimement lutter pour leurs droits s’ils font l’objet de discrimination et en appeler à la solidarité de tous.

Les moyens d’agir pour le progrès des plus défavorisés passent par l’engagement social, syndical, associatif et politique des citoyens concernés et par une intervention des autorités publiques au plus près des problèmes à résoudre. Les difficultés auxquelles est confronté un quartier de la banlieue portlouisienne et un village de pêcheurs sont loin d’être les mêmes. Il y a là deux communautés différentes car nous parlons ici de «communautés réelles de vie et de développement» composées d’individus connaissant une même réalité sociale, culturelle et économique dans un lieu géographiquement circonscrit pouvant faire l’objet de solutions spécifiques. Mais s’attaquer aux problèmes réels et complexes des gens localement avec rationalité est beaucoup plus difficile que d’organiser des regroupements identitaires au niveau national et poser des revendications symboliques. Galvaniser des foules en les mettant en confrontation fantasmée avec les intérêts d’autres groupes ethniques n’est pas très sorcier. Il n’est pas difficile de comprendre où va aboutir la FCM.

Jeu A sommes nulles

Le communautarisme appelle le communautarisme : plus un leader communautaire en appellera à «son peuple» (ou «nou banne») et plus il renforcera en face des cohésions adverses d’autant plus décidées à ne rien céder. Le communautarisme est un jeu à sommes nulles, il ne produit qu’une chose : – le zéro de l’équilibre communautariste à maintenir indéfiniment. La stratégie communautariste de la FCM est vouée à l’échec, elle renforcera les positions établies du jour et n’apportera rien aux plus démunis qui ont besoin de la solidarité et de l’effort d’une nation tout entière, de la race humaine.

Qu’a fait Gaëtan Duval pendant des décennies sinon prétendre collaborer à 35 % dans une stratégie « proportionnaliste » ? Où cela a-t-il mené les créoles sinon au néant du malaise du même nom ? Jocelyn Grégoire ne réussira pas là où Gaëtan Duval a échoué. Mais sans doute Gaëtan Duval avait-il eu l’intelligence de comprendre que le régime communautariste ça ne favorise que les politiciens, les «leaders» communautaristes et leur cour de Roi Pétaud : – baron, baronnes, bouffons, fous du roi et consorts. Jocelyn Grégoire a le tort de croire que de l’abjection communautariste puisse sortir autre chose que de l’abject.

par Michel AHNEE

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